par Simon Thibault
photographie © Leigh Beisch


En 2005, Jennifer McLagan lançait son premier livre, Bones, un recueil de recettes et d'anecdotes culinaires et historiques au sujet des os. Le livre fut salué par la critique et à rapidement obtenu un rayonnement international. Avec Bones, McLagan a remporté les honneurs et de nombreux prix, notamment The James Beard Awards.

Suite à une réception si favorable, il n'est pas étonnant que l'auteure ait continué sur sa lancée avec un second volume dans la même veine, Fat (2008). Depuis, avec à son actif des livres mettant à l'honneur les abats, Odd Bits (2011), et les aliments amers, Bitter (2014), McLagan s'autoproclame, à juste titre, «défenseur des aliments mal-aimés».

Lors d'une entrevue avec McLagan, Simon Thibault a eu la chance de l'entretenir à propos du métier d'auteur culinaire et de son parcours atypique.

 

jennifer mclagan 
© Rob Fiocca

 

 

Comment t'est venue l'idée d'écrire Bones?

À l'époque, je travaillais comme styliste culinaire et en voyant la qualité de certains des livres de cuisine auxquels je collaborais, j'ai réalisé que je pouvais faire aussi bien, sinon mieux. Comme j'avais déjà eu l'occasion de signer quelques articles de mon cru pour diverses revues culinaires, j'ai décidé de tenter ma chance. J'en ai parlé avec Naomi Duguid et Jeffrey Alford (co-auteurs de Hot Sour Salty Sweet : A Culinary Journey Through Southeast Asia) et ils m'ont conseillé de me trouver un agent. Ce que j'ai fait.


J'avais déjà plein d'idées et de concepts en tête, mais la réponse étais toujours négative. C'est finalement en tombant sur un article que j'ai écris sur l'utilisation des os en cuisine, que mon agente m'a dit qu'on tenait là une idée avec un véritable potentiel éditorial.

Dès le départ, je savais que je ne voulais pas d'un livre de recettes traditionnel. Je voulais parler d'histoire et de culture, parce que la cuisine est au cœur de la culture. Il y a trop de livres publiés en ce moment qui sont sans intérêt, parce qu'ils ne contiennent que des recettes. En plus, je tenais un sujet quasi inépuisable; depuis toujours les os sont utilisés à toutes les sauces que ce soit comme outils, armes ou boutons. Je me suis rapidement retrouvée avec une tonne d'informations fascinantes qui allaient beaucoup plus loin que la simple recette.

En 2003, j'ai trouvé une rédactrice américaine intéressée à travailler sur Bones. Dans ce temps là, que tu aies ou non des contacts dans le milieu, ça ne faisait pas de différence; tout ce qui comptait, c'était la qualité de tes idées.

 

Comment les maisons d'éditions ont-elles accueilli ton idée?

Lorsque j'approchais les gens en leur disant que mon livre parlait d'os, leur réaction habituelle était de me demander si j'étais paléontologue! Ceux qui avaient «l'esprit gastronomique», eux comprenaient tout de suite.

 

D'ailleurs, ma rédactrice n'as pas eu beaucoup de difficulté à faire publier Bones. Harriett Bell, de Bell, Book & Handle, a lu le manuscrit durant la fin de semaine et le lundi la maison d'édition me faisait une offre. Pendant longtemps, j'ai cru que ça fonctionnait toujours comme ça!

Après la parution du livre, les maisons d'édition se sont demandées pourquoi elles n'avaient pas eu cette idée avant. Même si on est porté à croire que tous les sujets reliés à la cuisine ont été exploités et surexploités, il reste pourtant une panoplie de thèmes à explorer.

 

Quelles réactions le livre a-t-il reçues des critiques?

Une pleine page dans le New York Times, le prix James Beard pour le meilleur livre de cuisine à sujet unique de l'année et il a été finaliste au titre de meilleur livre de cuisine de l'année de l'IACP. Malgré les reconnaissances de la presse et des professionnels du milieu, ma rédactrice a eu beaucoup de difficulté à faire publier mon second livre, Fat.

 

Justement, parlons de Fat. Le gras est définitivement un sujet tabou de nos jours, mais pendant longtemps il a été vénéré sous toutes ses formes, qu'en est-il aujourd'hui?

On recommence tranquillement à l'apprécier. Je me suis longtemps fait attaquer pour avoir écrit ce livre. On disait que je faisais la promotion d'une mauvaise alimentation qui «rend les gens malades». Sept ans plus tard, les gens comprennent un peu mieux que les gras de bonne qualité sont bons pour la santé. En cuisine, les gras sont utilisés de tellement de façons pour rendre les plats plus savoureux.

 

Lorsque je faisais des entrevues télévisées pour la promotion du livre, hors d'ondes, les animateurs me disaient constamment : «une chance que vous êtes mince, autrement vous n'auriez pas été invitée.» C'est vrai que je mange du gras, mais je ne suis pas grosse pour autant. Tous ces produits laitiers réduits en matières grasses, ça ne fait pas de sens d'un point de vue nutritif.

 

Lorsque Odd Bits est sorti en libraire, le principe d'utiliser toutes les parties de l'animal (nose to tail eating) en cuisine était déjà une tendance culinaire. On peut dire que c'était un sujet plus facile à avaler que ceux de tes 2 premiers livres. Les maisons d'éditions ont-elles quand même été frileuses à l'idée d'exploiter le sujet?

En fait, il faut comprendre que 3 années se sont écoulées entre la signature du contrat et la publication du livre. À l'époque, tout le concept de nose to tail eating était encore étrange et avant-gardiste. Quand le livre est arrivé sur le marché, les gens commençaient à s'intéresser au sujet. De nos jours, cuisiner avec les tripes, les pattes ou la tête, c'est tout à fait normal; on trouve même des raviolis à la cervelle!

 

D'ailleurs, Odd Bits a été très utile pour démocratiser le concept. Dorénavant, les fermiers et les bouchers avaient des techniques de cuisson et des recettes qu'ils pouvaient donner aux consommateurs qui étaient intéressés à acheter des animaux entiers.

 
Alors que tes trois premiers livres s'intéressaient à des ingrédients précis, Bitter est plutôt un concept. D'où vous est venue l'idée?

Je n'avais pas vu ça comme ça, pour moi, l'amertume était aussi un sujet unique. Je vous voulais m'éloigner du côté carnivore et je trouvais que l'amertume était un sujet intéressant, puisque c'est normalement une saveur que l'on évite en cuisine. Souvent, on essaie d'éliminer le côté amer d'un plat ou de le rendre imperceptible en ajoutant du sucre, par exemple. Au fond, je suis peut-être le «défenseur des aliments mal-aimés»! (rire)


En plus des ingrédients naturellement et artificiellement amers, il y a des milliers de composés amers qui produisent l'amertume. Si tu goûtes un plat et que tu le trouves amer, il est possible que je ne le trouve pas amer du tout; on s'habitue. En Italie, les saveurs amers sont célébrés dans les amari (liqueurs à base de plantes) tel que le Fernet-Branca et le Cynar, alors qu'en Asie, le melon amer (momordique) est consommé pour ses vertus médicinales.

 
Parlez-nous un peu de votre processus créatif.

C'est la partie recherche que je trouve la plus intéressante. C'est comme dans Alice au pays des merveilles quand elle tombe dans le terrier du lapin; il y a plein d'informations disponibles, mais on ne peut en utiliser qu'une petite partie. Je commence habituellement mes recherches sur Internet, mais je m'assure d'avoir au moins deux ou trois sources différentes qui confirment mes informations. Je préfère faire mes recherches à la bibliothèque, entourée de livres, mais ce qui est intéressant, c'est de découvrir toutes sortes d'anecdotes et de renseignements, et avec les livres c'est un processus assez lent.

 

 

Le monde de l'édition a-t-il changé depuis la parution de Bones?

Mon agente m'a dit que si j'essayais aujourd'hui de trouver une maison d'édition pour Bones, comme à l'époque, alors que je ne connaissais personne et que personne ne me connaissait, j'aurais très peu de chance d'être publiée. De nos jours, il y a moins d'intérêt pour les livres originaux, les maisons d'édition ne veulent publier que des livres faciles à vendre. Pour percer, un auteur a besoin d'entretenir un blog, d'être présent sur les médias sociaux; il lui faut une plate-forme pour parler de lui-même; il doit être à la fois photogénique et télégénique, etc. Ça devient fatiguant toujours parler de soi. En plus, les auteurs reçoivent de moins en moins d'argent en échange de leur travail et encore moins pour faire la promotion de leurs œuvres. Maintenant, la promotion se fait sur les réseaux sociaux.


Les gens ne réalisent pas à quel point c'est beaucoup travail. Ils pensent qu'ils pourraient facilement créer leur propre recueil de recettes. Mais le vrai travail, c'est le montage, la rédaction, le design, etc. Ce n'est pas évident.

Malgré tout, quand tu as la chance de rencontrer quelqu'un qui a lu ton livre, qui connaît ton œuvre et qui respecte ton travail, c'est fantastique! Ça engendre des conversations, ça génère des idées, et ce sont les bonnes idées qui font de bons livres de cuisine.

simonthibault.com





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