Avant, je mangeais devant lui des knacky (ces fameuses saucisses dites de Strasbourg mais qui ne contiennent que des restes de « viandes ») en rentrant de mes soirées arrosées. J’explosais des boîtes entières de surimi à toute heure de la journée. Je léchais allègrement la cuillère pleine de sauce à base de fond de bœuf, et quand j’avais la flemme de me faire à manger, je prenais une tranche de jambon. Depuis quand le jambon c’est un « animal » de toutes façons ?
Depuis toujours figurez-vous.
Arrêter la viande et le poisson ce n’est pas facile. On ne s’en rend pas compte quand on est omnivore. Mais il y en a partout. Même dans les bonbons et le dentifrice. Oui oui, je vous assure. Et les fêtes de Noël qui approchent ont été la première épreuve pour moi.
J’ai échoué.
Ma grand-mère, conciliante, s’était dit qu’elle allait donc faire du poisson pour Noël. Pour la plupart des gens, les végétariens mangent du poisson. Sauf que non. Les animaux, ce sont les vaches, les poules, les cochons, les dauphins, les koalas ET les poissons. Même les moches.
Mais comme c’est mamie, j’ai fait un effort. La pauvre, elle s’était démenée et il faut dire que le poisson était délicieux. Le lendemain, c’est ma tante qui nous invitait. Au menu : bœuf Wellington. Le sien était enrobé de foie gras. L’équivalent pour les végétariens de la cerise sur le sundae en matière de souffrance animale. De la médaille d’or de la torture. Du Emmy Award de l’atrocité. Et pourtant je l’ai mangé ce bœuf Wellington. Vous ne m’entendrez jamais dire que la viande, ce n’est pas bon. Surtout que son bœuf Wellington était à mourir. Je m’en souviens.
Autour de moi, personne n’a vraiment senti le dilemme que ce repas était pour moi. Il allait à l’encontre des nouveaux principes qui devaient régir ma vie de végétarienne amoureuse de la nature et des animaux. Tous ces grands discours intérieurs envoyés à la poubelle à la seule vue d’une croute dorée dans laquelle se trouvait une pièce de bœuf saignante et tendre, enrobée d’une couche de foie gras fondant.
Après ce repas gargantuesque, je me suis évidemment mal sentie. J’ai culpabilisé. Je me suis fait moi-même la morale car ce n’est évidemment pas sur les autres que je pouvais compter pour me taper sur les doigts. Je n’en n’ai même pas tout de suite parlé à mon copain. Je ne voulais pas le décevoir et qu’il voit ma faiblesse. C’était la dernière fois que j’ai mangé de la viande. Ou presque. « Ca y est, c’est décidé, j’arrête de manger de la viande et du poisson. » Voilà ce que je me suis dit un jour de novembre 2011, après avoir réalisé un reportage sur la manière dont on traitait les animaux dans les abattoirs, dans le cadre de mon diplôme de journalisme. J’ai eu un petit coup de pouce : ma moitié, végétarien depuis plus de dix ans.