Par Cynthia Lapierre

Le meilleur lassi de varanasi


Je suis assise par terre sur mon sac à dos, adossée au mur. La station de train d’Agra, site du fabuleux Taj Mahal, est un véritable nid de guêpes bourdonnant de confusion. Tout le monde tourne en rond. Le numéro de la plate-forme de votre train peut changer à l’ultime dernière minute et voilà qu’on grimpe des escaliers à la course pour traverser les rails et retrouver son train avant qu’il ne reparte.

On ne peut pas véritablement dire qu’on ait vu l’Inde à moins d’y avoir voyagé en train. Les femmes se faufilent en accordéons de couleurs vives, leur sari flotte derrière elles comme une vague de soie possédée par le vent. Des odeurs de corps, de fleurs de jasmin, de poudre de santal, et d’urine attaquent mes narines. J’ai trop hâte qu’arrive mon train ; il est deux heures en retard et le numéro de plate-forme change aux cinq minutes. Je respire par la bouche afin d’éviter de vomir.

Bateau


Hallelujah ! Sri Krishna ! Bouddha ! Insérez-y votre déité, mon train est arrivé ! Trois heures de retard, mais la foule a le sourire large comme des enfants au matin de Noël. Le tableau affiche sept, huit, onze heures de retard pour les trains suivants.

J’endosse mon sac à dos de 12 kg (pas trop mal !) et je monte les marches étroites de mon wagon. J’ai choisi de voyager en 2AC, deuxième classe avec air climatisé, et non dans la cage à poules générale. À l’intérieur du wagon de classe couchette, le corridor est à peine assez large pour y passer mon sac à dos. À droite, deux ensembles de lits 
superposés et, à gauche, un troisième ensemble perpendiculaire à ceux de droite, soit un total de six lits encombrés. Je dépose ma grosse carapace de tortue sous les lits et je la barre à clé au poteau. Je grimpe une minuscule échelle de trois marches afin de m’installer sur le lit du haut. Les draps, l’oreiller, et la couverture sont fournis pour le voyage de quatorze heures qui en devient presque dix-huit avec tous les retards. Il est 21 h et je m’endors vite. Le train berce ses passagers et la température du wagon plonge à 18oC. On se croirait dans le frigo ! Brrrrrrrr !

À peine sept heures du matin et le cirque commence. Vendeurs de tout âge, y comprit un petit garçon d’à peine dix ans, embarquent pour vendre du chai (thé au lait) et du café au lait tellement sucrés que j’en ai mal aux dents. Pour 10 roupies, soit moins de 20 cents canadiens, ça réveille !

Vers l’heure du midi débute mon segment de voyage préféré : snacks on a train ! Comme Samuel L. Jackson, je m’attaque à tout ce qui passe. Premier achat : imaginez un œuf à la coque enveloppé de patates pilées au curry, des légumes épicés enrobés de pâte à frire accompagnés de sauce chili comme trempette. Je m’en liche les babines... et le bol ! Le vendeur suivant approche avec son seau de chana masala, un curry de pois chiche à la tomate très épicé. C’est un plat tellement piquant que j’en pleure. Les autres passagers sympathisent et rient amicalement. Le troisième et dernier achat pour mon lunch est un masala (mélange) de céréales genre Rice Krispies mélangé avec de la poudre de chili, de la poudre de curry jaune, des feuilles de curry salées, des arachides, et un soupçon de jus de citron. Le tout est servi dans un cornet de papier de journal.Bizarre comme combinaison. Encore plus bizarre : j’adore !


vendeurRue


Le train arrive à destination : Varanasi, capitale spirituelle de l’Inde. Des millions d’Indiens viennent à Varanasi attendre la mort après quoi ils seront incinérés sur des grands bûchers et leurs restes, jetés dans les eaux de la rivière sacrée du Gange. Cet ancien rituel est dit d’en finir avec le cycle des réincarnations afin d’atteindre le Moksha, qui est l’équivalent du nirvana bouddhiste.

À peine les deux pieds plantés sur la plate-forme que je suis entourée de conducteurs de tuk-tuk, une moto-taxi à trois roues, qui se poussent et crient, l’un plus fort que l’autre, pour me gagner comme passagère et atteindre son quota monétaire du jour en un voyage. Je choisis le plus calme de la gang, vêtu d’une chemise bleue à carreaux, et on s’entend sur la somme de 100 roupies (à peine 2 piastres) pour me déposer au STOPS Hostel.

Definitely not for the faint of heart... Si vous êtes nerveux ou peureux en voiture, je vous suggère fortement de fermer les yeux. Le trafic en Inde, un pays de plus d’un milliard d’habitants, est complètement fou mental. Autos, camionnettes, tuk-tuk, motos, piétons, cochons, vaches, chiens, tous y passent. Les feux de circulation, les panneaux d’arrêt et les ronds-points ne sont que des suggestions ignorées par les conducteurs. La route se présente comme un véritable jeu de Frogger pour les piétons où soit le plus gros, soit la vache sacrée, gagne la priorité de voie.

tuktuk2

Me voilà saine et sauve à l’auberge de jeunesse et déjà une aventure culinaire se présente comme une carte au trésor sous les yeux d’Indiana Jones. « Fortune and glory, kid ! » Je suis anxieuse de partir pendant qu’on m’explique où et comment trouver le meilleur lassi de Varanasi.

C’est quoi un lassi ? C’est une boisson indienne à base de yaourt glacé qui existe en plusieurs versions : nature, salée, sucrée, à la rose, au citron, au miel ou à la mangue. C’est un excellent moyen d’apaiser sa pauvre langue après un met super épicé. Attention ! Les touristes se font souvent proposer l’infâme bhang lassi fait avec du cannabis avant de se faire voler leur argent, téléphone, et autres objets de valeur lorsqu’ils sont en plein trip qui peut durer d’une à trois heures en général. C’est tout un trip, croyez-moi, mais mieux vaut rester dans un lieu à l’abri des pickpockets et loin des dangers de la rue.

Bon, l’aventure commence ! J’ai quelques notes et directives écrites sur une serviette de table et une bouteille d’eau pour le voyage. J’ouvre la porte de l’auberge de jeunesse STOPS et je dis bye-bye ! à l’air climatisé. La chaleur pesante me claque en pleine face et m’enveloppe d’une cape invisible de 44oC. Une goutte de sueur coule dans mon dos et mon front est plein de billes reluisantes. Ça commence bien, hein ? Bon courage, on est à peine sorti de l’auberge.

L’important, c’est de minimiser ses gestes ; il faut absolument marcher avec les bras collés à ses côtés, question d’éviter qu’ils soient heurtés par une moto qui passe. La chaleur me vole mon énergie, le soleil me brûle la nuque, et mes yeux scrutent la route devant moi afin d’éviter des mines terrestres de merde de vaches grosses comme un cantaloup. Les marchands interrompent ma route en criant, « Come and look ! You buy ! » avec une confiance qui fait sourire. Des colliers de fleurs blanches, jaunes et rouges parfument l’air et font compétition aux couleurs des saris des femmes qui font leurs commissions du jour. L’odeur de friture remplit les narines et se mélange à celle des émissions des véhicules qui se faufilent dans la foule.

Blue Lassi Shop

Je prends une pause chai avant de continuer. Le chai est un passe-temps national servi dans un petit verre de carton pour 10 roupies. Le barista de thé passe les feuilles au mortier et au pilon
en y ajoutant son mélange d’épices qui comprend de la cardamome et de la cannelle. Il verse le mélange dans du lait et fait bouillir le tout pendant quelques minutes pour que les saveurs s’infusent parfaitement. Afin de bien mélanger, le barista verse le thé d’une cruche à l’autre à quelques reprises. Précision : il tient une cruche au-dessus de sa tête tandis que la deuxième est
tenue sous son nombril. Aucune goutte n’est renversée lors de son numéro de cirque qu’il a perfectionné pendant des années. Voici le nectar des dieux hindous ! En plus, on me propose deux petites pâtisseries recouvertes d’une feuille d’argent très fine qui est, dit-on, bonne pour la santé.

Avant de quitter le barista extraordinaire, je lui demande comment me rendre au Blue Lassi Shop. Il répète le nom, fait signe de me diriger vers la droite, ensuite à la gauche, et encore vers la droite. L’autre bonhomme assis à ma gauche devant son chai me dirige dans le sens inverse. Parfait. Je quitte mon banc sur le trottoir encore plus perdue que je l’étais en arrivant.

Je m’approche du marché qui précède les ruelles qui se rendent à la rivière Gange. Je me faufile vite à l’entrée du dédale de ruelles qui sont larges comme mes bras ; les autos n’y passent pas, mais cela n’empêche pas les motos et les vaches d’y passer. Tout à coup, je me retrouve face à face avec une énorme vache et trois jeunes garçons qui lui tapent le derrière avec un bâton. Je me retourne afin d’exécuter le plan GTFO, mais je suis soudainement piégée par une moto stationnée qui bloque la sortie. Je prie Ganesha, le dieu à tête d’éléphant qui lève les obstacles, pour qu’il soustraie la moto, la vache, ou moi-même de cet embouteillage. Quelques minutes passent et les garçons se fatiguent d’agacer cette bête sacrée. Celle-ci déniche un sac à ordures mi-brûlé et se met à déguster quelque chose d’impossible à identifier qui pourrit à l’intérieur. Je me faufile lentement en longeant le mur gluant (mieux vaut ne pas tenter de deviner ce qui est gluant...) et me voilà saine, sauve et arrivée à destination. Merci, Ganesha !

lassi

Le Blue Lassi Shop est une adresse mythique recherchée par les backpackers qui souhaitent déguster ce milkshake indien. Incroyablement difficile à repérer, ce trésor au pied de l’arc-en-ciel est caché au cœur d’un incompréhensible labyrinthe d’étroites ruelles serpentines. Il suffit de se fier aux inscriptions graffitées sur les murs afin de se rendre à destination. Le vaste menu propose plus de 80 variétés de lassi. Ce petit coin de paradis célèbre existe depuis trois générations. Un monsieur que l’on appelle le Lassi Wallah est assis là où s’assoyaient son père et son grand-père avant lui, et crée des délices pour sa clientèle locale et étrangère. Fruits, noix, noix de coco, chocolat, et café se retrouvent sur la longue liste d’ingrédients à choisir.

Me voilà devant le fameux monsieur qui prépare un lassi aux pommes. Je monte les quelques marches de béton qui mènent à l’intérieur d’un petit commerce peint d’un bleu ciel éclatant. Au plafond tourne une boule disco qui projette des ronds de couleurs sur les murs et le plancher, donnant la sensation que tout tourbillonne légèrement. Je m’installe à une des deux tables ; c’est pas prétentieux pantoute ici ! Je me commande un lassi avec bananes, noix de cajou et miel. Une quinzaine de minutes plus tard, mon lassi est présenté presque cérémonieusement dans un bol d’argile avec une petite cuillère en bois. Je m’en régale pendant que la boule disco tourne au son de la musique rock diffusée à la radio.

Après quelques gorgées de lassi, j’entends se rapprocher des voix d’hommes qui chantent. La procession passe devant le Blue Lassi Shop : quatre hommes transportent un cadavre vers la rivière Gange afin de le laver de ses péchés en le submergeant trois fois dans les eaux sacrées avant qu’il soit brûlé sur un bûcher. Eh oui, on voit de tout passer devant ce shop de lassi à 
Varanasi. Je me demandais ce qui sentait le brûlé...

Varanasi



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